Livre I
Chapitre 1
Contrairement à bien d'autres histoires remontant à la nuit des temps selon les discutables arguments de leurs promoteurs, "La chronique de La Flèche" est un vert récit dont les racines n'entrent à peine que d'un pouce dans la terre originelle. Rien n'y fut de l'extérieur relié en quelques façons obscures, cependant que rien n'y fut aussi par de brillantes entreprises.
Nous avons pourtant un semblant de certitude, si bien que l'homme puisse en posséder par le fruit démesuré de son étroitesse d'esprit, si bien que cela puisse s'avérer n'être que magie; que les premières paroles des poèmes Srehcra révèle la réalité des choses. Du moins, n'en déplaise aux dieux que nous ne voudrions offenser par ces tractations issues de notre pauvre condition humaine, nous le vivons de cette manière inscrit dans nos chairs. Qu'il fusse tel que les tables divines recèlent d'une petite ligne à notre égard. Et si cela n'eut été assez humble pour les maîtres du monde, qu'il fusse tel que nous occupions l'espace d'un mot. Et si encore leur en déplaise l'ostentatoire d'un mot, d'occuper une lettre. Et si enfin cela ne suffit à notre abaissement méritoire, que nous osions prétendre être l'encre de cette lettre. Mais nous ne pouvons imaginer telle chose puisque l'encre n'a point de limites outre celle qui lui est imprimée, et en ce sens elle devient le support de tout ce qui puit être.
Par les dieux, nos destinés se sont rencontrées dans la plus misérable contrée qu'Illimune pu produire depuis la création du monde. Non point qu'elle soit la plus hostile, ou encore la plus stérile, ou même la plus ravagée; peu importe puisque sa défaillance tient de son extrême chaos, et cela est mentionné à même les plus anciennes chroniques du royaume de Tweed et à d'autres plus vieilles encore dont les pages sont maintenant ruinées. Car il existe dans les terres malheureuses, silencieuses et détruites, une forme d'organisation plus grande qu'en ces terres où la vie grouillante règne. Et il est encore plus malheureux que nous, compagnons, soyons amoureux de cette contrée au point où les dieux eux-mêmes devraient nous en forcer le bannissement pour s'assurer que nous n'y revenions jamais.
Mais pourtant, nous y sommes encore, et cette terre maudite porte le nom d'une maladie: Bélénos. Une maladie parce qu'elle s'insinue adroitement dans l'âme, à l'insu des pauvres gens, des riches, des roturiers et des nobles, sans égard pour leur condition d'origine, sans peser à l'utilité de son action. Atteints, nous sommes restés, impuissants devant ce fléau contrôlé par les dieux, devant surtout l'extrême moquerie faisant que nous aimions celle qui nous porte préjudice. Notre raison voudrait que l'anarchie y disparaisse, mais notre sentiment indique que l'ordre n'y règnera jamais. Condamnés à rester entre les eaux du ciel et celles de la terre, nous sillonnerons cette parcelle de la grande île à la recherche de l'équilibre des moeurs. Nous deviendrons les hérauts d'une justice dont l'émanation est celle du plus grand empire du monde, c'est-à-dire les coeur de l'homme où les dieux ont inscrit leurs desseins et dont les songes sont la révélation quotidienne.
Nos bottes ont foulé Bélénos pour la première fois en 728 de l'ère du grand Usire, selon le calendrier usuel. Quoique cette affirmation soit une fausseté si l'on en juge les parcours individuels des premiers parmi les Flèches. Nous croyons juste qu'il est temps ici d'amorcer le monologue du nom qui nous a été donné de choisir, puisque vous lecteur, ne connaissez la signification du dernier terme de la dernière phrase. Lorsque celui que nous devons considérer l'initiateur s'est aventuré en Bélénos, Partag selon l'usage, il lui a été donné par les dieux un songe éveillé. Il aurait vu un refuge, maison de sa propre protection, forge de son propre destin et donc la portion gardée libre dans le livre des divinités, pour la première fois depuis qu'il lui eut été donné le souffle. Et cela vaut bien plus que la douce tranquillité ou le bruyant tumulte ordinaires. Car ces derniers n'ont aucune valeur si l'homme est enchaîné aux dieux de la même manière que le pantin au marionnettiste. Le grand scénario est inscrit, certains événements sont gravés, les hommes sont guidés, mais les dieux ont gardé un endroit secret pour ceux qui savent reconnaître les signes. Vivre une telle émotion ne peut qu'être contagieuse à la rencontre d'un carrefour, et c'est à ce propos qu'une lisière devint le lieu de la croisée avec Ameseth le rôdeur. Puis discutant autour des attributs qui font de l'arc une arme si merveilleuse à qui sait s'en servir, ils rencontreront le noble Lanfranc, l'homme des conventions du monde. Armés des caractères fondamentalement complémentaires si l'on en juge l'histoire postérieure, il en fut moins évident dans les préambules. Car ce qu'il faut mentionner ici, c'est la foi en le dessein des dieux qui a guidée les compagnons de fausse fortune vers les noirs sentiers et les blancs destins.
C'était en le mois dit de septembre où les coeurs profitent pour une dernière fois de la saison chaude en attente du rigoureux et mortel hiver, que les trois compagnons développèrent une amitié qui allait retourner les esprits comme l'on retourne la terre pour la moisson. Faisant route et aventures en Bélénos, se quittant en certains moments et se retrouvant à d'autres, la majesté des liens familiaux passa devant leur levis en les personnes du moine guerrier Lossan et de sa soeur Cyan. Par le témoignage des dieux vous devez croire votre humble chroniqueur, c'est là que la Flèche pénétra les esprits de chacun plus ou moins selon leurs inclinaisons. L'on dit que ce mois en est un d'introspection avant que n'arrive l'automne et son extrême onction. Du songe de l'initiateur, il y eut des terminaisons qui lièrent les désormais cinq personnages en une confrérie qui se nommerait "La Flèche" pour sa capacité à se rendre directement et rapidement vers sa cible. L'arc, mais plus précisément son projectile, étant une arme de prédilection pour ces humbles mal armurés, s'avérant aussi un moyen de percer les mystères du monde, de guider les hommes, de personnifier les liens de confiance, il semblait naturel de l'adopter comme symbole des affiliations. "La Flèche" vagissait.
S'il est vrai que l'hiver refroidit les humeurs et le corps, il ne peut toucher au coeur qui espère. Par le lendemain de la saison morte, au printemps 729 de l'ère du grand Usire, la désormais modeste confrérie fit rencontre de nouveaux arrivants. Mais il ne suffit d'être présent de corps, encore faut-il que les dieux permettent en esprit les associations. Car en certaines circonstances, les plus sages parmi les nobles seront trompés par des affinités naturelles, tandis que les plus vilains en esprit verront dans la différence la providence salvatrice. Ces pénibles événements signeront tout de même l'arrivée du prêtre Guelthier, maître en savoirs divers, et de Malone, personnage sombre maître en déguisements et camouflages. Ils étaient alors sept, chiffre des astres mouvants de par le ciel.
Il faut encore compter pour terminer deux noms qui ne figurent dans aucune action particulière puisque leur arrivée fut récente dans le compte de votre chroniqueur. Ce sont des rencontres qui furent avant Bélénos, mais dont liens n'étaient pas alors encore destinés à s'épanouir. Car il est aussi des situations où les hommes ne sont encore prêts à saisir les portails mis à leur intention par les dieux, de même certains voient leur porte fermée à clef car le temps n'est point venu. Toujours est-il que Gonpid le dextre et le druide de Gaea Inilmaen se joignirent par le mois de juin. Ceci termine pour l'instant les rencontres dont votre humble chroniqueur témoigne ici par les dieux.
Et pour vous encore, de peur que ne se déchaîne le puissant courroux divin, je déclinerai "La Flèche" par leurs noms complets et dans l'ordre de leur arrivée, tels qu'ils se présentent: Partag de La Flèche, Ameseth Lendur, Lanfranc Valdaras des Nivelanges, Maître Lossan Xiongmao, Cyan, Guelthier la Plume d'Adéon, Malone, Gonpid de La Flèche et enfin Naerol Inilmaen Mehlfast des Arathor.